« Le changement climatique exige des actions de plus en plus immédiates. Face à la montée des températures, les politiques environnementales se multiplient. Même si l’ADEME mène de nombreuses études pour prédire l’impact des mesures, les dogmes ou les besoins en communication prennent le pas sur l’efficacité. Cet article veut donc lancer une réflexion sur les politiques mises en place récemment pour favoriser la réparation et leur efficience en comparaison des politiques passées.
Comme point de départ de notre réflexion, je voudrais utiliser la mise en place de l’étiquette énergie comme référence. Elle a été une politique environnementale réussie, ayant un impact significatif sur la réduction de la consommation d’énergie au cours des dernières décennies. Le rapport de l’iea de 2021 souligne une réduction de plus de 5% de l’énergie consommée annuellement pour les pays participants et des économies quatre fois supérieures au surcoût engendré. Surtout, l’étiquette énergie ne crée pas de distorsion du marché, car elle repose sur la transparence de l’accès à l’information et non sur des impacts financiers directs. Ainsi le public a globalement plébiscité cette mesure. Sa forte acceptation du public repose sur la liberté laissée aux consommateurs de choisir.
Comparons l’étiquette énergie avec la proposition d’un bonus sur le prix d’achat financé par une taxe sur tous les produits : il s’agit du projet d’éco-modulation. L’hypothèse de base de la mesure est d’avoir un système équilibré, autant de malus que de bonus. L’idée est de limiter les distorsions du marché en évitant de créer une taxe (plus de malus que de bonus) ou une subvention (plus de bonus que de malus). Cette initiative s’appuierait sur l’indice de réparabilité, qui deviendra durabilité. On modifie donc le mécanisme de l’étiquette en intervenant financièrement. Une intervention directe qui ressemble à une récompense ou une punition. Je voudrai expliquer dans cet article pourquoi je pense qu’on en est arrivé là, et si c’est une bonne idée.
En tant qu’expert de la filière de la réparation, je peux vous affirmer qu’il est difficile d’intéresser vraiment les gens à ce sujet. Tout le monde a un avis, alors qu’on est en moyenne confronté à une panne qu’une fois tous les trois ans. Le public s’appuie sur des lieux communs (les appareils sont faits pour tomber en panne) alimentés par une expérience personnelle qui n’a rien de généralisable (mon appareil est tombé en panne juste après la période de garantie). Presque personne ne réalise que la filière a amélioré sa qualité, que la durée de vie des appareils n’a pratiquement pas changée et que la moitié des pannes sous garantie sont liée à un défaut d’entretien (voir ici). Pourtant, cette filière est indubitablement source d’emplois, bénéfiques pour l’environnement et un fort axe de réinsertion à travers Emmaüs et Envie. Compte tenu de son impact sociétal majeur, il est donc normal qu’un petit nombre d’activistes s’investisse fortement dans les problématiques de réparation. Seulement pour motiver les autres, il faut faire raisonner ces sujets. C’est ainsi qu’on a vu foisonner les actions autour de l’obsolescence programmée, qui on ne le dira jamais assez n’a aucune réalité dans l’électroménager. Comme une étiquette de plus à intégrer potentiellement dans l’étiquette actuelle ne motive pas le foules, les activistes poussent des initiatives qui touchent plus les gens. Et rien ne touche plus les gens que le porte-monnaie. Voilà la vraie raison à mon avis du passage d’un affichage étiquette à un bonus/malus.
Est-ce une bonne idée ? Tout d’abord est ce que ça marche ? Les études montrent qu’en effet, une sanction ou une récompense influe sur le comportement des gens. Certaines personnes sont plus sensibles au bonus, d’autres au malus. Donc cette mesure aura une certaine forme d’efficacité. En revanche, il est peu probable que cette initiative soit viable politiquement. Imposer une pénalité à une partie de la population est la meilleure des recettes pour motiver une opposition. On constate que les grandes mesures écologiques prises ces dernières années (fin du moteur thermique, réforme de la PAC…) ne sont pas populaires. Cette mesure sera donc forcément critiquée et instrumentalisée.
Enfin, on peut s’interroger sur son mécanisme. Réfléchissons un instant au financement du bonus/malus. Pour financer un bonus de 40 euros, comme suggéré par le ministère, je dois obtenir deux malus de 20 euros. Pour simplifier, pour récompenser un consommateur je vais en punir deux. Au-delà du caractère inique de la démarche, cela veut surtout dire que je ne vais jamais améliorer le taux d’appareils bénéficiant du bonus. Pour clarifier ce point, faisons une analogie avec un système éducatif où un tiers des élèves aurait leur examen et les deux autres tiers, quel que soit leur performance serait recalés. Pensez-vous que ce système permettrait de tirer le niveau global vers le haut ? Quelle incitation à étudier puis-je avoir si je sais que je n’ai aucune chance d’avoir mon diplôme quel que soit ma quantité de travail ? Je ne vois pas comment cette initiative va motiver les constructeurs à améliorer leur note, si la majorité des appareils vendus sera soumise au malus. Si le but de tous ces dispositifs est de favoriser la durabilité des appareils et la réparation plutôt que le remplacement des produits, doit-on défavoriser mécaniquement les deux tiers des appareils ? On est loin à mon avis de l’émulation globale de l’étiquette énergie.
Parlons maintenant des consommateurs. Aujourd’hui comme je l’ai déjà écrit, les perdants du bonus réparation seront les classes les plus défavorisées, ceux qui ne peuvent pas acheter les produits réparables, car la réparabilité a un coût n’en déplaise à certains. Qui peut croire que les perdants de ce système de bonus/malus ne seront pas les populations les plus fragiles économiquement ? Comment peut-on justifier que ces populations financent un bonus pour réduire le coût des appareils les plus onéreux ? Je ne pense donc pas qu’un bonus-malus soit politiquement faisable et encore moins souhaitable d’un point de vue environnemental. »
Emmanuel Benoit, CEO d’Agoragroup.