Introduction

Comme je l’ai évoqué dans mon précédent article, la Directive européenne sur le droit à la réparation impose aux fabricants une obligation de réparer les produits même hors garantie. Toutefois, les modalités de cette obligation restent floues, ce qui est courant pour une directive européenne qui doit être précisée ultérieurement par les législations des États membres.

La directive va imposer notamment que la réparation soit  « gratuite ou à un prix raisonnable » et effectuée dans « un délai raisonnable ». Ces termes sont flous et seront malheureusement clarifiés pays par pays par la jurisprudence, ce qui créera probablement un morcellement du marché européen en introduisant des règles différentes.

Essayons néanmoins de cadrer nos réflexions, sinon nous ne pourrons jamais nous projeter dans un marché Européen de la réparation. Puisque la directive définit un « droit » à la réparation, elle vise à l’universalité de l’accès à la réparation. Je propose donc d’évaluer si une offre est raisonnable en fonction de son adoption par les consommateurs.

Or une étude de 2022 d’Agoraplus montre que le prix et le délai joue en effet un rôle dans la décision de réparer des consommateurs, mais montre aussi l’importance d’autres facteurs. En négligeant ces aspects de la réparation, les législateurs européens rendent la notion de raisonnable encore moins lisible.

L’exemple de l’âge de l’appareil

L’étude d’Agoraplus montre qu’un facteur jouant aussi sur la décision de réparer est l’âge de l’appareil. Plus l’appareil est âgé, moins les consommateurs seront prêts à le réparer, au lieu de le remplacer pour un appareil neuf.

Pour illustrer ce point, le tableau ci-dessous présente les données relatives aux lave-linges :

Lave linge à 350€

Tout âge d’appareil Moins de 4 ans + de 10 ans
Prix pour accepter la réparation 25% du temps 119€ 134€

114€

Pour avoir le même taux d’adoption d’une offre pour un appareil de 10 ans, il faut réduire le prix de 15%.

Quel est le prix raisonnable ? Celui qui voit les vieux appareils réparés, donc avec des tarifs plus faibles pour les appareils anciens et plus élevés pour les appareils récents. Dans le marché, les réparateurs ne diminuent pas les prix en fonction de l’ancienneté de l’appareil, privilégiant plutôt un prix uniforme en fonction du coût des pièces détachées requises. Mais les pièces détachées pour les appareils plus anciens sont souvent plus chères, car elles ont été stockées pendant plus longtemps. Donc le prix de la réparation est plus cher lorsque les consommateurs y sont plus sensibles.

Un problème politique

Les législateurs nationaux qui devront transcrire la directive européenne doivent donc choisir s’ils veulent favoriser la réparation d’appareils plus anciens, ou s’ils laissent les appareils les plus vieux être remplacés. L’enjeu qui se cache au fond de cette décision est la suivante : est-ce que cette notion d’accessibilité de la réparation est une question de droit des citoyens européens, pour laquelle la réparation doit être accessible pour tous, dont ceux avec des vieux appareils, ou plutôt une question écologique, pour laquelle il vaut mieux réparer les appareils jeunes qui consomment moins d’énergie ? En fonction de la réponse, les législateurs vont définir un seuil de prix de la réparation soit qui permet un taux de réparation global, soit qui garantit un certain taux de réparation des appareils les plus anciens.  Ne pas définir ce caractère raisonnable de la réparation, c’est laisser la jurisprudence décider. C’est aussi sans doute dire adieu à un marché Européen de la réparation, dynamique et fluide. On continuerait la situation actuelle d’un labyrinthe de pratiques locales, fondé sur des codes de la consommation divers et sans logique économique ou environnementale.

 

Emmanuel Benoit, CEO d’Agoragroup.