« En France, l’émergence des bonus de réparation, des abonnements à la réparation et une amélioration de l’image de cette pratique ont suscité un nouvel intérêt pour le service après-vente en dehors de la période de garantie. Autrefois, la réparation reposait sur l’accessibilité, la rareté et le coût des produits finis, surtout jusqu’aux années 90. Aujourd’hui, avec la facilité d’achat de produits neufs, l’accessibilité des produits n’est plus un défi pour les consommateurs. La réparation doit donc devenir accessible pour être attrayante. Ainsi, un réseau de réparation bien développé et offrant des tarifs compétitifs deviendra un élément clé dans la transition vers une économie de consommation plus responsable. Pourtant, le service hors garantie reste l’un des aspects les moins étudiés de toutes les activités économiques.
J’ai déjà expliqué ici que le prix de la réparation n’est pas le seul facteur qui influence la décision du consommateur de réparer ou de remplacer un appareil. D’autres facteurs, comme le délai de réparation et la durée de vie prévue de l’appareil, jouent également un rôle. Ces notions paraissent relativement évidentes et le résultat de nos études consommateurs sur des critères multiples conforte cette intuition. Alors pourquoi aucune marque de biens de consommation, ne prend en compte ces critères dans leur quête de profitabilité ? Seul le prix, la demande associée et le coût du service sont étudiés.
Je vais écrire une série d’articles sur ce sujet en préparation d’un séminaire que nous allons organiser pour changer les choses. J’inscrirai cette réflexion dans la perspective des biens à la consommation facilement transportables. Je pense que ces réflexions doivent animer cette filière. L’activité de réparation de cette dernière est identifiée par la loi AGEC comme devant augmenter de presque moitié dans les années à venir. Cette série expliquera comment identifier les coûts et les bénéfices associés à la rapidité du service ou l’espérance de vie résiduelle après la réparation.
Je voudrais néanmoins commencer par évoquer les effets néfastes de l’asymétrie d’information pour le service après-vente aussi bien en termes de profitabilité qu’en terme de satisfaction du consommateur. Les effets néfastes de l’absence de transparence sur un marché sont bien connus depuis les années 70[1] à travers l’étude du marché des voitures d’occasion. Le concept des « lemons » décrit une situation où les vendeurs ont plus d’informations sur la qualité des produits que les acheteurs. Dans ce cas, les acheteurs ne peuvent pas distinguer les produits de bonne qualité des produits de mauvaise qualité (les « lemons ») et sont donc prêts à payer moins pour tous les produits. Cela peut entraîner une baisse des prix pour les produits de bonne qualité et une augmentation des prix pour les produits de mauvaise qualité.
Ces concepts s’adaptent pleinement à la réparation. Le consommateur a en général peu de moyens de savoir la durée de la réparation et encore moins la durée de vie restante d’un appareil. Or ces informations sont largement connues des services clients. Je vais utiliser les résultats de nos études sur l’aspirateur pour illustrer cet impact. Passer de 3 jours à 5 jours de durée de réparation, a un impact négatif de l’ordre de 20%. Autrement dit, 20% des consommateurs qui souhaitaient réparer, ne le veulent plus. Si je souhaite compenser cette perte de volume par le prix, nos modèles prédisent que nous devons baisser le prix de la réparation de 17%.
D’autre part, il est important de préciser que si la réparation est un service incertain par nature, nous sommes tout de même des professionnels qui savons prédire en partie notre performance. Ainsi, s’il m’est demandé d’estimer la durée d’une réparation, courte ou longue, je ne me trompe que dans 20% des cas. Je sais également d’expérience que la moitié des réparations sont courtes. Ces chiffres ne sont pas donnés au hasard, mais sont de l’ordre de grandeur de la performance des services de réparation en France. Rappelons qu’AGORA couvre 70% des réparations dans le blanc en France ce qui nous permet d’avoir une vision assez claire du marché de la réparation dans ce domaine.
Estimons donc la meilleure stratégie sur une base de coût de la réparation de 100€ et 100 consommateurs intéressés à réparer à ce prix :
Première stratégie, je garde les informations pour moi, le consommateur suppose donc que le délai sera long. Je peux baisser mon prix pour effectuer 100 réparations à 83€ euros (17% de réduction de prix), appelons le cas 1 ou effectuer seulement 80 réparations à 100€, que nous appelons cas 2.
Deuxième stratégie, j’annonce la durée probable de la réparation. La moitié des consommateurs est prête à payer 100€ pour une réparation courte, et à 100€, seulement 40 consommateurs accepteront ma proposition longue.
Reste donc le cas, où je me suis trompé et la réparation courte est plus longue que prévu. Dans cet exemple, je prends une dizaine de consommateurs. (environ 20% d’erreur comme indiqué plus haut) Je peux choisir de garder ma bonne réputation et dédommager ces 10 consommateurs : je leur rends 17€, c’est le cas 3. Ou bien, j’ai rendu mécontents les 2 consommateurs parmi ces 10 qui n’auraient pas voulu de ce prix pour un délai de 5 jours : c’est le cas 4.
En supposant un coût unitaire de la réparation à 70€, on obtient le tableau suivant :
|
Cas 1 | Cas 2 | Cas 3 | Cas 4 |
Prix de la réparation |
83€ | 100€ | 100€ et un dédommagement de 17€ pour 10 consommateurs |
100€ |
Volume |
100 | 80 | 90 |
90 |
Chiffre d’affaires | 8 300€ | 8 000€ | 8 830€ |
9 000€ |
Coût | 7 000€ | 5 600€ | 6 300€ |
6 300€ |
Bénéfices | 1 300€ | 2 400€ | 2 530€ |
2 700€ |
En conclusion, l’asymétrie d’information a un vrai coût comme le montre l’exemple de l’estimation de la durée de la réparation. En communiquant cette information aux consommateurs, les services de réparation peuvent augmenter leur volume de réparations et leur rentabilité. Malgré cela, la plupart des services se refusent à estimer le délai de réparation. Cette simple pratique de communication, permettrait d’augmenter de manière significative la rentabilité des entreprises de réparation.
Changeons nos habitudes, gagnons en transparence. Cela fera du bien au secteur de la réparation et donc à la planète ! »
Emmanuel Benoit, CEO d’Agoragroup.